vendredi 6 juillet 2012

Donner une place à la critique constructive


Nous sommes tous des héritiers

Aucune pensée n'émerge ex nihilo. Même les intuitions dont nous sommes le plus fiers concernant le fonctionnement humain sont une autre manière de considérer une problématique de toujours. Une théorie se construit sur un état des lieux. Quand elle n'est pas pure spéculation intellectuelle, elle se soumet à la possibilité d'une réfutation tant sur le plan logique que sur celui de la réalité. Une théorie psychosomatique n'échappe pas à ces règles. Elle doit rendre compte au plus près de la réalité des rapports entre le corps et l'esprit et décrire les états pathologiques afin de favoriser leur compréhension et leur prise en charge. Elle reçoit en retour une validation clinique qui l'affine ou la réfute.
On n'explique pas scientifiquement comment s'effectue "le saut mystérieux du psychique dans le somatique" ni comment la pensée devient une propriété émergente de l’activité neuronale. L'impossibilité actuelle de décrire intimement ces fonctionnements n'empêche pas d'en constater les conséquences même si nous en sommes réduits à considérer les rapports corps-esprit comme une boite noire, contenue dans une autre boite noire qui masque les jeux d'interdépendance d'un organisme et de son monde relationnel.
Deux chemins s'offre à une théorie cherchant à rendre compte de la réalité sensible des situations psychosomatiques et relationnelles. Elle peut essayer de faire la synthèse des savoirs de champs différents, comme le modèle bio-psycho-social par exemple qui juxtapose des connaissances médicales, psychologiques non psychanalytiques et psychosociales. Ou comme la psychosomatique de l'Ecole de Paris qui intègre les maladies organiques dans la théorie psychanalytique. Il s'agit alors de penser des liens entre des champs que la culture occidentale a séparés depuis toujours.
En prenant les choses par l'autre bout, une théorie peut tenter de penser une unité de l'Homme non pas perdue sur le plan du réel mais fragmentée sur le plan de la pensée et inexistante dans un langage reflet de cette fragmentation. Tel est le but de la théorie de psychosomatique relationnelle initiée par Sami-Ali. D'autres savoirs conçoivent l'unité psychosomatique d'une manière unifiée, dynamique et cosmogonique comme la médecine chinoise ou la médecine indienne Ayur-Védique. Nous n'avons pas l'habitude de penser comme cela en Occident. Nous avons appris à voir et à réfléchir dans un contexte qui masque une réalité et rend sa description difficile.
Une théorie est aussi un corpus de concepts liés entre eux par une idée maîtresse. En psychosomatique comme ailleurs, ces concepts sont un outil pour décrire une réalité, penser et communiquer une expérience. Ils n'entretiennent pas d'illusion : le concept n'est pas le phénomène comme le mot n'est pas la chose. Il est simplement évocateur, précis jusqu'à ce qu'un plus précis encore le remplace. Dans la construction d'une théorie psychosomatique falsifiable au sens de Popper, conceptualiser ne consiste pas à créer des néologismes et à nommer tout ce que découvre ou redécouvre chaque auteur mais à observer finement le plan clinique et à le décrire. La construction évolue dans le temps, certaines parties deviennent obsolètes parce que la compréhension du phénomène s'affine et s'étend grâce au partage d'expériences mais aussi grâce à l'exercice permanent d'une observation sans cesse plus pointue.
Une théorie psychosomatique se conceptualise à plusieurs niveaux. Le plan intellectuel et philosophique au sens logique. Le plan pratique et méthodologique au niveau de la thérapeutique. Mais surtout le plan de l'introspection personnelle. Savoir reconnaitre que l'on ne comprend pas c'est déjà s'ouvrir à une autre vision des choses. Que ça soit vis à vis de patients que de la théorie elle-même. Interroger une théorie oblige à accepter de changer. On peut se contenter de se saisir des concepts de manière uniquement intellectuelle, les décoller du plan du réel pour les utiliser, les rejeter ou les triturer pour les renommer et les faire correspondre à l’attente que l’on a du monde. On peut aussi se confronter à l'expérience des autres, guidé par une recherche intime de la vérité pour affiner sa connaissance du monde.
Alors apprendre c'est penser, c'est à dire construire une conception du monde qui tend à se rapprocher le plus possible de la réalité sensible. Et accepter que notre pensée soit une synthèse d'expériences plus ou moins valides, les nôtres, mais celles aussi des Maitres que nous avons suivis, des auteurs que nous avons lus, des collègues avec qui nous avons partagé et surtout des patients dont nous apprenons tous les jours.
Cette tentative d'approche, de description et de compréhension de la réalité humaine ne peut se construire sans exercice de critique, avant tout de notre propre pensée mais aussi de ce qui est soumis à notre discernement.
J'ouvre les pages de ce blog à qui s'intéresse au partage des expériences cliniques et aux réflexions théoriques dans un esprit constructif.