Nous
sommes tous des héritiers
Aucune
pensée n'émerge ex nihilo. Même
les intuitions dont nous sommes le plus fiers concernant le
fonctionnement humain sont une autre manière de considérer une
problématique de toujours. Une théorie se construit sur un état
des lieux. Quand elle n'est pas pure spéculation intellectuelle,
elle se soumet à la possibilité d'une réfutation tant sur le plan
logique que sur celui de la réalité. Une théorie psychosomatique
n'échappe pas à ces règles. Elle doit rendre compte au plus près
de la réalité des rapports entre le corps et l'esprit et décrire
les états pathologiques afin de favoriser leur compréhension et
leur prise en charge. Elle reçoit en retour une validation clinique
qui l'affine ou la réfute.
On
n'explique pas scientifiquement comment s'effectue "le saut
mystérieux du psychique dans le somatique" ni comment la pensée
devient une propriété émergente de l’activité neuronale.
L'impossibilité actuelle de décrire intimement ces fonctionnements
n'empêche pas d'en constater les conséquences même si nous en
sommes réduits à considérer les rapports corps-esprit comme une
boite noire, contenue dans une autre boite noire qui masque les jeux
d'interdépendance d'un organisme et de son monde relationnel.
Deux
chemins s'offre à une théorie cherchant à rendre compte de la
réalité sensible des situations psychosomatiques et relationnelles.
Elle peut essayer de faire la synthèse des savoirs de champs
différents, comme le modèle bio-psycho-social par exemple qui
juxtapose des connaissances médicales, psychologiques non
psychanalytiques et psychosociales. Ou comme la psychosomatique de
l'Ecole de Paris qui intègre les maladies organiques dans la théorie
psychanalytique. Il s'agit alors de penser des liens entre des champs
que la culture occidentale a séparés depuis toujours.
En
prenant les choses par l'autre bout, une théorie peut tenter de
penser une unité de l'Homme non pas perdue sur le plan du réel mais
fragmentée sur le plan de la pensée et inexistante dans un langage
reflet de cette fragmentation. Tel est le but de la théorie de
psychosomatique relationnelle initiée par Sami-Ali. D'autres savoirs
conçoivent l'unité psychosomatique d'une manière unifiée,
dynamique et cosmogonique comme la médecine chinoise ou la médecine
indienne Ayur-Védique. Nous n'avons pas l'habitude de penser comme
cela en Occident. Nous avons appris à voir et à réfléchir dans un
contexte qui masque une réalité et rend sa description difficile.
Une
théorie est aussi un corpus de concepts liés entre eux par une idée
maîtresse. En psychosomatique comme ailleurs, ces concepts sont un
outil pour décrire une réalité, penser et communiquer une
expérience. Ils n'entretiennent pas d'illusion : le concept n'est
pas le phénomène comme le mot n'est pas la chose. Il est simplement
évocateur, précis jusqu'à ce qu'un plus précis encore le
remplace. Dans la construction d'une théorie psychosomatique
falsifiable au sens de Popper, conceptualiser ne consiste pas à
créer des néologismes et à nommer tout ce que découvre ou
redécouvre chaque auteur mais à observer finement le plan clinique
et à le décrire. La construction évolue dans le temps, certaines
parties deviennent obsolètes parce que la compréhension du
phénomène s'affine et s'étend grâce au partage d'expériences
mais aussi grâce à l'exercice permanent d'une observation sans cesse plus
pointue.
Une
théorie psychosomatique se conceptualise à plusieurs niveaux. Le
plan intellectuel et philosophique au sens logique. Le plan pratique
et méthodologique au niveau de la thérapeutique. Mais surtout le
plan de l'introspection personnelle. Savoir reconnaitre que l'on ne
comprend pas c'est déjà s'ouvrir à une autre vision des choses.
Que ça soit vis à vis de patients que de la théorie elle-même.
Interroger une théorie oblige à accepter de changer. On peut se
contenter de se saisir des concepts de manière uniquement
intellectuelle, les décoller du plan du réel pour les utiliser, les
rejeter ou les triturer pour les renommer et les faire correspondre à
l’attente que l’on a du monde. On peut aussi se confronter à
l'expérience des autres, guidé par une recherche intime de la
vérité pour affiner sa connaissance du monde.
Alors
apprendre c'est penser, c'est à dire construire une conception du
monde qui tend à se rapprocher le plus possible de la réalité
sensible. Et accepter que notre pensée soit une synthèse
d'expériences plus ou moins valides, les nôtres, mais celles aussi
des Maitres que nous avons suivis, des auteurs que nous avons lus,
des collègues avec qui nous avons partagé et surtout des patients
dont nous apprenons tous les jours.
Cette
tentative d'approche, de description et de compréhension de la
réalité humaine ne peut se construire sans exercice de critique,
avant tout de notre propre pensée mais aussi de ce qui est soumis à
notre discernement.
J'ouvre
les pages de ce blog à qui s'intéresse au partage des expériences
cliniques et aux réflexions théoriques dans un esprit constructif.
Merci pour la richesse de cette analyse. Yotchol
RépondreSupprimerBravo Anne pour ce commentaire de l'oeuvre de Descartes qui a été injustement foulé aux pieds. Il est en effet très raisonnable, juste et prudent d'étudier notre environnement culturel pour juger les productions scientifiques en fonction des époques. Je crois que ce rapprochement que tu fais avec Galilée est très éclairant et m'apprends des aspects de l'oeuvre de Descartes que je ne connaissais pas. Le défaut de notre science est de croire qu'elle s'appuie sur une base solide celle de l'expérimentation qui bien entendu morcelle le corps c'est ce qu'on pourrait appeler l'erreur de Damasio !Comment espérer contruire le tout à partir des parties ?
RépondreSupprimerAvec mes amitiés
J-M Gauthier
Merci Jean Marie pour ce commentaire et tes amitiés.
RépondreSupprimerPenser l'unité à partir d'une connaissance analytique est le défit de notre génération. Il y a des pistes passionnantes que Descartes pressentait dans son génie. C'est ce que je vais essayer de montrer par la suite.
Bien à toi,
Anne